Ce qui s’oublie
Extraits de chroniques - carnets de détention
Six jours à écrire, à se rencontrer, se raconter. Six jours pour se faire confiance, sans se connaitre. Six jours pour trouver des essentiels, du sens, là où il n’y en a plus. Six jours durant lesquels les minutes ne font plus soixante secondes, ni les heures soixante minutes. Six jours pour accepter que les repères sont à réinventer.
Le soleil est resté avec nous. Ses éclats de lumière nous ont aidés à dessiner les pliures et les traces du temps sur les corps qui ne vieillissent plus.
Hier soir, on s’est dit sans trop y croire au-revoir, à plus tard, à bientôt. Hier soir, on s’est dit sans hésiter merci, bon courage, patience. Ces quelques mots-là résisteront à tous les temps, et continueront d’exister bien après tout le reste parce qu’ils portent en eux chaque seconde des six jours que nous avons partagés.
Le jour d’avant n’existe plus.
Cette année, l’hiver est en avance.
Je l’ai avec moi, tout le temps, mais cela ne se voit pas.
J’oublie parfois le son de ta voix.
J’oublie parfois aussi où je suis.
Plus tard, que sais-je?
Hier soir, je me suis endormi à 2h30 du matin.
C’était déjà aujourd’hui finalement.
Le soleil est resté avec nous. Ses éclats de lumière nous ont aidés à dessiner les pliures et les traces du temps sur les corps qui ne vieillissent plus.
Hier soir, on s’est dit sans trop y croire au-revoir, à plus tard, à bientôt. Hier soir, on s’est dit sans hésiter merci, bon courage, patience. Ces quelques mots-là résisteront à tous les temps, et continueront d’exister bien après tout le reste parce qu’ils portent en eux chaque seconde des six jours que nous avons partagés.
Le jour d’avant n’existe plus.
Cette année, l’hiver est en avance.
Je l’ai avec moi, tout le temps, mais cela ne se voit pas.
J’oublie parfois le son de ta voix.
J’oublie parfois aussi où je suis.
Plus tard, que sais-je?
Hier soir, je me suis endormi à 2h30 du matin.
C’était déjà aujourd’hui finalement.
Chronique 01
À l’instant où il lui a promis, il a su qu’il ne pourrait plus revenir en arrière. Il avait mis longtemps à se décider, mais voilà, il l’avait fait et aujourd’hui il ne peut l’ignorer, ou faire semblant de l’avoir oublié.
Le jour où il s’était posé à genoux devant elle, ça lui avait semblé tomber sous l’évidence toute cette histoire de monts et merveilles, de pour toujours, le meilleur et pour le pire, alors il lui avait promis. Et depuis, il doit vivre avec.
Il faut dire qu’au départ, ils avaient eu droit à la totale. Coup de foudre sur la plage, à l’heure bleue en plus, décidément la chance leur souriait, les chabadabadas, les guimauves, les yeux envieux des amis autour d’eux, vous êtes tellement beaux tous les deux, les nuits blanches, les pommes d’amour, les soirées d’ivresse, et vous êtes tellement assortis aussi …
Ils s’étaient laissés porter par les courants ascendants, et avaient fini par y croire aux contes de fées, aux étoiles alignées, aux porte-bonheurs, à la vie bordel !
Le temps s’est accéléré avec l’arrivée de l’ainée, une tête d’ange aux cheveux de velours qui a rassuré les projections de tous autour d’eux, on vous l’avait bien dit que vous étiez faits pour être ensemble, la cadette a suivi, talonnée de très près par le benjamin, mais quelle famille parfaite ! Deux filles, un garçon. Rêve éveillé, ils avaient bien eu raison d’y croire. Une histoire comme celle-là, ça n’arrive qu’une fois par décennie, et c’était tombé sur eux !
Ils se sont offerts les alliances en guise de bagues de fiançailles, est-ce cela qui ?.. Est-ce que tout s’est joué ce jour-là précisément, juste parce que ça les avait bien fait marrer sur le moment de se passer les anneaux avant de s’être dit oui, joli pied de nez aux conventions ? À moins que cela ne soit cette insouciance qui les définissait tout entier à force de sourire à tout, ou encore cette insolence folle de survoler la vie d’un seul battement d’aile ?
Il a beau se dérouler l’histoire à l’endroit, à l’envers, il ne trouve pas d’où est venu le grain de sable. Aujourd’hui, au pays où les minutes ne font plus soixante secondes ni les heures soixante minutes, il ne croit plus aux contes de fées, aux étoiles alignées, ni aux porte-bonheurs. Seul assis sur son banc face au soleil qui brûle sa peau, il fait tourner son alliance qu’il n’arrive plus à faire glisser le long de son annulaire et repense à demain.
Ils ont rendez-vous, il l’attend avec impatience. Il sait que durant une heure, le temps va s’affoler. En accéléré, il essaiera de retenir tout ce que cette heure peut contenir de la vie des enfants, de sa vie à elle, le boulot l’école, regarde ce dessin, les médecins les activités les progrès, ils ont gagné hier face à Montréjeau, les copains la maison les travaux, je t’ai amené une photo pour te montrer comme c’est beau.
Il essaiera encore plus de retenir la dernière minute jusqu’à la distendre dans l’étreinte, avant de la laisser repartir avec ses mots à lui, J’oublie parfois le son de ta voix.
Chronique 02
La cour semblait trop exiguë. Des roses trémières s’élevaient vers le ciel, de nombreux framboisiers rasaient les murs, quelques lys, symboles de l’espérance, s’étaient perdus en chemin, un rosier grimpant qui avait grandi ici, et qui mourrait ici, imposait sa présence arrosant d’ombre une partie de la pelouse. Au milieu, une fontaine au circuit infini rythmait le temps. C’est là, assis autour d’une table, que tout avait démarré.
— Dis-moi, à qui et pourquoi. Et fais moi confiance pour la suite, le comment viendra naturellement.
— Pour Alicia, parce que je pense à elle souvent, mais elle ne le sait pas. On s’est perdu de vue il y a longtemps. J’aimerai lui montrer que je n’ai pas changé.
— Comment tu penses qu’on pourrait lui montrer que tu n’as pas changé ?
— Si elle voit mon corps, elle me reconnaîtra. Elle en connait les moindres détails.
Après ces quelques mots échangés, il s’était posé au milieu des fleurs et des framboises, sans timidité, torse nu. La main gauche appuyée sur le mur le maintenait en équilibre, la main droite posée sur sa hanche lui donnait un air décontracté. Il avait le regard rieur, le visage amusé.
Elle l’a quitté en fin d’après-midi pour rejoindre son quotidien, et lui l’a attendue sur son banc.
Une semaine a passé avant qu’elle ne revienne. Lui n’a pas bougé. Elle lui a offert son portrait figé à vie sur un papier satiné.
Il a eu besoin de se regarder minutieusement. Ces dix dernières années passées au pays où les heures ne font plus soixante minutes ni les minutes soixante secondes, il avait perdu la notion de son corps. Il ne le connaissait plus et a dû en scruter tous les détails avant de se reconnaitre. Il l’a tenu dans ses mains ainsi longtemps avant de parler.
Les tatouages, c’est eux qu’il a vus en premier, racontent sa jeunesse. Un prénom d’abord, mais pas celui d’Alicia. Une date, un papillon sur la poitrine, en hommage à Henri Charrière, un loup pour se rappeler que sans la meute, l’homme ne vaut rien. Des barres sur son avant bras décomptent les années, les mois, les jours passés ? Ou ceux qui lui restent à tenir ? Lui seul connaissait les secrets de chacun de ces points d’encre.
— Il y en a certains, je ne pourrai jamais les effacer, ou les faire enlever. Parce qu’ils sont là pour me rappeler quelqu’un, une rencontre que je ne veux pas oublier, une promesse que je dois honorer.
— C’est toi qui les as faits ?
— Non, ils ont été faits par des gars que j’ai rencontrés au fil de mes vies.
Les cicatrices ensuite, trop nombreuses pour un seul homme, traversent de part en part ce corps qui a vaillamment résisté aux tempêtes intérieures. Mais ce ne sont pas elles qui ont fixé son attention, il les connaisait par coeur, il en est l’auteur, et n’apprendra rien d’elles. Non, ce qui l’a intrigué, ce sont toutes ces rides qui se sont invitées sans qu’il n’y ait jamais pris garde. Ce sont elles, infimes détails, qui lui racontent ses dix dernières années.
— J’arrive pas à me reconnaitre dans ces pliures.
— Pourtant, c’est bien toi, et personne ici n’a les mêmes.
— Ces rides, c’est comme les lignes de ma main.
— Elles tracent ta vie.
— Oui, mais c’est étrange de les voir aussi nettes. Normalement, on ne voit jamais vieillir sa nuque.
— Tu ne vois pas le temps passer sur ton corps ?
— Non, ici, le temps se met en pause. Tu vois, hier soir, je me suis endormi à 2h30 du matin, c’était déjà aujourd’hui finalement.
— Et ta dernière nuit ici, tu l’imagines comment?
— Seul, à regarder le ciel, pour être sûr de ne pas manquer mon dernier lever du jour.
Chronique 03
Cette cour est vraiment trop exiguë. Entre deux visites, elle oublie, mais dès qu’elle repasse la porte en métal, ça lui revient comme un boomerang. Elle se fait rattraper par cette envie de danser, de chanter, de vibrer, comme si son corps pouvait repousser les murs. Des roses trémières s’élèvent vers le ciel, de nombreux framboisiers rasent les murs, quelques lys, symboles de l’espérance, se sont perdus en chemin. Quelle ironie ! Un rosier grimpant qui mourra ici impose sa présence, arrosant d’ombre une partie de la pelouse. Mais ce qui lui fait tourner la tête, c’est cette fontaine au circuit fermé qui rythme le temps infini. Il fait chaud en ce moment, ils ont les corps écrasés par le soleil. Faut dire que dans tout ce béton, les rayons de soleil peuvent rapidement transformer une cour en un four naturel.
Elle ne saurait pas vraiment dire pourquoi mais elle se sent en confiance avec eux. Depuis le premier jour. C’est étrange mais avec eux, elle oublie même parfois où elle est, et surtout avec qui. L’autre jour, quand ils ont commencé à parler ensemble de leurs peurs les plus intimes, ou de leur manque du contact charnel avec les femmes, ça aurait pu la mettre mal à l’aise. Et bien non, au contraire. Elle s’est sentie à sa place. Elle s’est même dit que, finalement, tout ce qu’elle avait fait avant, c’était pour en arriver là. Une évidence de vie.
Il y en a un dans le groupe avec qui elle aimerait prendre plus de temps. Il est malin, drôle. Et vif. Juste une question de feeling, pas de favoritisme. L’autre jour, il lui a demandé de faire une photo de lui torse nu pour son amie Alicia, parce qu’elle aime mon corps, il lui a précisé. Il lui a dit ça comme ça, en se marrant, et elle, elle a trouvé ça dingue qu’il pose ça là comme ça, avec autant de naturel. Quand elle y réfléchit, ça faisait quoi, trois heures, quatre heures peut-être qu’ils se connaissaient, et il lui parle de son corps, comme ça, le projetant dans une intimité que deux inconnus ne partageraient jamais en dehors de cette cour. Mais ici, le temps ne veut plus rien dire.
C’est ça qu’elle aime bien chez lui d’ailleurs. Sa faculté à dire les choses humaines avec un naturel déconcertant. Elle a même pas hésité quand il s’est posé torse nu dans la cour au milieu des fleurs et des framboises. Il était heureux, un brin taquin, à l’idée du courrier qu’il allait envoyer à sa belle Alicia. Elle a complètement oublié la cour, et les caméras de surveillance qui les filmaient, et a fait sa photo. Elle l’a quitté en fin d’après-midi pour rejoindre son quotidien, lui l’a attendue sur son banc. C’est pour lui qu’elle revient aujourd’hui, pour lui donner son portrait figé à vie sur un papier satiné. Lui qui n’a pas bougé, et qui continue de fondre patiemment sur son banc.
Il prend le temps de se regarder minutieusement, tu sais on les voit pas passer les années sur nos corps, c’est dingue, il ne se connait plus. Il scrute tous les détails pour tenter de se reconnaître.
Les tatouages, c’est eux qu’il voit en premier, racontent sa jeunesse. Un prénom d’abord, mais pas celui d’Alicia, une date, celle-là j’peux pas te dire d’où elle vient, ce serait trop dur de me rappeler de tout ça ici, un papillon sur la poitrine en hommage à Henri Charrière, tu connais pas ? Mon parrain m’a offert ce livre quand je suis arrivé ici, j’ai dû le lire au moins cinq fois depuis, un loup pour se rappeler que sans la meute, l’homme ne vaut rien. Il retrouve aussi sur son bras les barres qui décomptent les années, les mois, les jours passés ? Ou ceux qui lui restent à tenir ? Ça non plus, il ne veut pas en parler. Il lui explique l’histoire de chacun de ses tatouages, la voix enrayée par les émotions qui reviennent, sans crier gare. Il se souvient de chaque trait d’encre, et des gars qui les ont tracés. Des gars qu’il ne reverra jamais, compagnons d’une vie où les heures ne font plus soixante minutes, ni les minutes soixante secondes.
Les cicatrices ensuite, trop nombreuses pour un seul homme, traversent de part en part ce corps qui a vaillamment résisté aux tempêtes intérieures, ça tu vois, c’est le manque, tu le sais pas ça quand tu me vois, mais dehors, c’set comme ça que je suis, il les connait par coeur, il en est l’auteur, et n’apprendra rien d’elles. Non, ce qui l’intrigue, ce sont toutes ces rides qui se sont invitées sans qu’il n’y ait jamais pris garde. Ce sont elles, infimes détails, qui lui racontent ses dix dernières années, j’arrive pas à me reconnaitre dans ces pliures, elle est surprise, et lui rappelle que chaque nuque porte une histoire de vie, c’est comme les lignes de la main alors ? Elle se surprend à regarder elle aussi ces rides autrement, se dit que oui, dans cette nuque, on retrouve bien les pliures de vie d’Alexandre, réalise qu’ici, les hommes ne voit pas le temps s’inscrire dans leurs corps, ici, le temps se met en pause, tu vois, hier soir, je me suis endormi à 2h30 du matin, c’était déjà aujourd’hui finalement. La cour est calme, les autres sont déjà repartis dans leurs cellules, elle a une dernière question avant de le quitter, à propos de sa dernière nuit. Seul, à regarder le ciel, pour être sûr de ne pas manquer mon dernier lever du jour.
Chronique 04
Le jour d’avant n’existe plus.
Il passera sa dernière nuit seul, comme toutes les autres avant celle-là. Sans dormir, il se tournera, retournera, jusqu’à trouver une position qui le contienne quelques minutes, allumera une cigarette, puis deux, puis trois. Le temps ne sera plus à l’économie, il lui faudra juste prévoir de quoi tenir jusqu’à l’aube.
J’oublie parfois où je suis.
Il essaiera de ne pas trop se projeter à demain. Son premier trajet sera pour aller revoir sa fille. Elle ne l’attend pas. Ce sera une surprise pour elle. Peut-être une désillusion pour lui. Il essaiera de ne pas trop y penser cette nuit-là, de ne pas attendre quoi que ce soit de ce rendez-vous que lui seul espère. Puis il reprendra la route vers l’océan, pour y chercher une régularité qui lui permette d’abandonner son passé.
Plus tard, que sais-je?
Il ne peut pas le savoir, mais sa vie mettra alors en branle une autre vie que la sienne, une vie qu’il ne connait pas, une vie dont il ne soupçonne même pas l’existence. Parce que là-bas elle longe depuis toujours la côte aux heures de la marée, chaque jour, il la croisera. Mais ne la verra pas. Elle se demandera souvent pourquoi autant de régularité chez un même homme. Et ne pas avoir de réponse à cette question la fascinera au point de se surprendre à attendre le lendemain. Juste pour la sensation grisante de désirer à nouveau, l’excitation de l’apercevoir une fois encore rentrer dans l’eau sans tenir compte des saisons ni des tempêtes, défier les vagues, se noyer dans les rouleaux, se laisser emporter par les courants, puis revenir à la nage jusqu’à la plage. La peau abimée par le sel, le froid, ivre de cette nouvelle vie chaque jour éprouvée jusque dans sa chair. Un jour, plus tard, peut-être, elle trouvera le courage de lui demander.
Je l’ai avec moi, tout le temps, mais cela ne se voit pas.
Un jour, plus tard, peut-être, il se risquera à partager avec elle sa liberté retrouvée.