Elle a l’air bavarde Lucie, mais écorchée aussi. Un air taquin. Et dans son corps les blessures laissées au fil des ans. Son histoire démarre avec le bois, un travail d’hommes fait par une femme. Une avant-gardiste cette Lucie. C’est étrange, car dans son corps d’aujourd’hui, on ne l’imagine pas dans ce travail-là. Elle passe rapidement, fait des bons dans le temps qui n’appartiennent qu’à elle. Des tranches de vie bien distinctes, avec des cassures qu’elle tait. Elle raconte son dernier jour de travail, le dernier avant la retraite. Une bascule annoncée mais qui parfois bouscule plus que cela n’y parait. Une bascule attendue quand on a passé sa vie aux ordres des autres, à s’oublier. Je m’en souviens de ce dernier jour. Le patron a voulu me faire craquer, il m’a promis de m’envoyer des chrysanthèmes, j’ai continué à travailler, jusqu’au bout de ma journée, et je suis partie, juste comme ça. Un homme, qui ne supportait pas de la voir partir mais qui n’a pas su lui dire. L’histoire de sa vie, à Lucie, ces hommes qui gravitent autour d’elle, et qui l’abîment, par excès d’amour, et d’orgueil. Alors, toute sa vie, elle se raccroche aux autres, pour oublier ceux qui font mal. Elle se raccroche à la jeunesse du village, à leur vitalité, comme pour oublier son corps qui plie. C’est avec eux qu’elle passera de nombreuses nuits blanches. Elle se souvient d’une en particulier. C’était un anniversaire, on dansait. J’avais mis ma robe de mariée. Il y a des soirées comme ça, qui passent, on ne sait pas pourquoi on voit le jour se lever.  Avec la vie qui les rattrape au petit matin, cette vie que l’on cherchait à oublier, dans l’ivresse et l’allégresse.
Tu crois que tu la donneras à quelqu’un un jour ta robe? Ah non, cela ne se donne pas ces choses-là. Lucie est bavarde sur les petits riens de la vie, mais reste silencieuse face à la vie qui bascule le jour où elle tombe.

Amoureuse d’un homme qui n’a jamais pu s’arrêter.

Elle regarde les photos de famille, s’arrête sur une photographie, témoin silencieuse de sa vie. Silhouette fine et gracieuse à côté d’un homme droit, sec et beau. Son mari est en train de signer le registre de mariage. Ils viennent de se promettre fidélité. Un cierge au premier plan cache le visage de Lucie. Les pages de l’album égrènent les années. Le temps a commencé bien avant l’heure son travail d’usure dans leurs corps. L’alcool, la maladie, les silences que l’on ne dénouera plus. Elle cherche le mot de sa belle-fille, écrit le jour des obsèques. Elle le lit à voix haute, pour elle, pour débloquer les mots qu’elle voudrait dire mais ne peut pas. Après la tempête, le beau temps revient toujours. C’est beau, tu ne trouves pas ?

Comment raconter une robe de mariée, qui a accompagné une femme tout au long de sa vie? Elle est simple, belle, blanche, elle se porte près du corps. Lucie s’éclipse et revient, vêtue de sa robe, encore une fois. C’était dans l’ordre des choses tu sais. Mais y-a-t-il un ordre à tout cela? Elle monte dans les escaliers, drapée de blanc, avec ce corps encore jeune et pourtant plié, tordu par les épreuves. Mais toujours là, vivant. Aussi digne que l’arbre penché au milieu de la lande.