CHRONIQUES D’UN JOUR
17/03/2023 - Anne Desplantez
”Je vous aime.”
C’est avec ces mots-là qu’il a fini son discours. La voix vibrante. Cathy s’est levée, suivie de leurs deux filles. Ils se sont pris dans les bras, étreinte chancelante qui n’appartenait qu’à eux. Nous étions quatre-vingt à les entourer, dont un certain nombre de grands gaillards. Soyons honnêtes, ça nous a bien arrangés cette étreinte qui durait et qui nous permettait de laisser aller nos dernières larmes.
Quarante ans de vie commune à célébrer, une retraite à arroser, un anniversaire à partager. Rien que ça ! Concentré d’allégresse sur une même soirée, ils n’avaient pas lésiné Gérard et Cathy.
En arrivant dans la salle, j’ai découvert sur leur photo de mariage agrandie au mur que la moustache de Gérard n’avait pas pris une ride, que les années n’avaient pas décoloré le bleu rieur des yeux de Cathy. Puis j’ai salué quarante-cinq gaillards dont je n’ai pas réussi à retenir les prénoms et qui se retrouvaient là pour trinquer aux années de service de Gérard.
Précisons que cette retraite tombait à pic. Trois jours avant, la France descendait pour la première fois dans la rue pour dire non aux années supplémentaires. Il n’en fallait pas plus pour faire de Gérard un sacré veinard!
Je n’ai jamais assisté à un pot de retraite aussi jeune ! Faut dire que si l’on en croit le diaporama préparé pour l’occasion, il est préférable d’être en forme pour faire de son métier le bornage du pays ! Parce que parcourir la France pour aller la cartographier, c’est aussi parcourir la France pour aller la rencontrer ! La faire danser ! Et chanter !
Les photos ont défilé rapidement sur une musique emblématique du CO - oui j’ai oublié de préciser qu’on était dans le Tarn, et dans le Tarn, une soirée sans CO, ça n’existe pas ! -, elles ont défilé vite et nous ont envoyés valser dans la ronde de la vie. Celle de Gérard et de sa moustache bien sûr. Mais aussi celle de tous ceux qui étaient avec lui ce soir-là.
Alors, quand Cathy a pris la parole pour nous offrir ces mots-ci :
”Je vous souhaite à tous d’avoir un Gérard dans votre vie”,
on a eu besoin de se lever pour applaudir ensemble trop fort, trop longtemps, jusqu’à couvrir le bruit assourdissant de nos émotions.
”Je vous aime.”
C’est avec ces mots-là qu’il a fini son discours. La voix vibrante. Cathy s’est levée, suivie de leurs deux filles. Ils se sont pris dans les bras, étreinte chancelante qui n’appartenait qu’à eux. Nous étions quatre-vingt à les entourer, dont un certain nombre de grands gaillards. Soyons honnêtes, ça nous a bien arrangés cette étreinte qui durait et qui nous permettait de laisser aller nos dernières larmes.
Quarante ans de vie commune à célébrer, une retraite à arroser, un anniversaire à partager. Rien que ça ! Concentré d’allégresse sur une même soirée, ils n’avaient pas lésiné Gérard et Cathy.
En arrivant dans la salle, j’ai découvert sur leur photo de mariage agrandie au mur que la moustache de Gérard n’avait pas pris une ride, que les années n’avaient pas décoloré le bleu rieur des yeux de Cathy. Puis j’ai salué quarante-cinq gaillards dont je n’ai pas réussi à retenir les prénoms et qui se retrouvaient là pour trinquer aux années de service de Gérard.
Précisons que cette retraite tombait à pic. Trois jours avant, la France descendait pour la première fois dans la rue pour dire non aux années supplémentaires. Il n’en fallait pas plus pour faire de Gérard un sacré veinard!
Je n’ai jamais assisté à un pot de retraite aussi jeune ! Faut dire que si l’on en croit le diaporama préparé pour l’occasion, il est préférable d’être en forme pour faire de son métier le bornage du pays ! Parce que parcourir la France pour aller la cartographier, c’est aussi parcourir la France pour aller la rencontrer ! La faire danser ! Et chanter !
Les photos ont défilé rapidement sur une musique emblématique du CO - oui j’ai oublié de préciser qu’on était dans le Tarn, et dans le Tarn, une soirée sans CO, ça n’existe pas ! -, elles ont défilé vite et nous ont envoyés valser dans la ronde de la vie. Celle de Gérard et de sa moustache bien sûr. Mais aussi celle de tous ceux qui étaient avec lui ce soir-là.
Alors, quand Cathy a pris la parole pour nous offrir ces mots-ci :
”Je vous souhaite à tous d’avoir un Gérard dans votre vie”,
on a eu besoin de se lever pour applaudir ensemble trop fort, trop longtemps, jusqu’à couvrir le bruit assourdissant de nos émotions.
13/03/2023 - Anne Desplantez
Tu es rentrée du collège mercredi midi énervée, les portes ont claqué. Tu avais le corps saccadé, les gestes bruyants. « J’ai passé la pire journée de ma vie ». Les nuances viendront plus tard, ton âge n’est pas encore à la mesure.
Je ne sais pas vraiment à qui tu t’adressais, si même tu cherchais vraiment un auditoire. Tu as posé là ton collège, ta journée pourrie, et tu as continué de taper tout ce qui te tombait sous la main. Une assiette que tu as remplie sans te soucier des goûts, une fourchette, un couteau, tu as oublié le verre, la serviette, le futile, l’inutile pour te recentrer sur l’essentiel.
« J’en peux plus, heureusement qu’on est mercredi, ça nous a fait qu’une demie-journée à les supporter, à les entendre nous rabâcher toutes les 5 minutes que c’est pas normal qu’on ait notre journée et pas eux, que les femmes, elles sont bonnes qu’à faire la vaisselle, que … »
Je n’ai pas écouté la suite, je suis restée bloquée sur la vaisselle! Ils avaient voulu faire les malins les cowboys de la cour de récré, ils avaient eu besoin de jouer aux gros durs, pourtant encore imberbes, en cherchant à faire rire l’assemblée avec leurs muscles. Ça n’a fait rire qu’eux-mêmes, ils auraient été déçus du contraire.
Et moi dans tout ça, j’avais pas grand chose à rétorquer pour te recentrer, mon ado éparpillée. J’ai pas trouvé la formule pour te faire rire, se moquer, ou grincer jusqu’à prendre du recul. J’ai rien montré mais j’étais bien désabusée de te voir revenir du collège avec pour seul souhait d’effacer du calendrier la journée du 08 mars!
Alors ok ma belle, même si tu n’as pas encore l’âge de la mesure, je le rappelle, ta colère est légitime, j’embarque avec toi. Sans rien dire aux cowboys de ton quartier, on va l’effacer cette journée. Mais en retour, je vous promets à toi et toute ta bande de cowgirls de continuer sans relâche, chaque jour de l’année, de faire du droit des femmes un quotidien et non un combat d’une cour d’école.
Tu es rentrée du collège mercredi midi énervée, les portes ont claqué. Tu avais le corps saccadé, les gestes bruyants. « J’ai passé la pire journée de ma vie ». Les nuances viendront plus tard, ton âge n’est pas encore à la mesure.
Je ne sais pas vraiment à qui tu t’adressais, si même tu cherchais vraiment un auditoire. Tu as posé là ton collège, ta journée pourrie, et tu as continué de taper tout ce qui te tombait sous la main. Une assiette que tu as remplie sans te soucier des goûts, une fourchette, un couteau, tu as oublié le verre, la serviette, le futile, l’inutile pour te recentrer sur l’essentiel.
« J’en peux plus, heureusement qu’on est mercredi, ça nous a fait qu’une demie-journée à les supporter, à les entendre nous rabâcher toutes les 5 minutes que c’est pas normal qu’on ait notre journée et pas eux, que les femmes, elles sont bonnes qu’à faire la vaisselle, que … »
Je n’ai pas écouté la suite, je suis restée bloquée sur la vaisselle! Ils avaient voulu faire les malins les cowboys de la cour de récré, ils avaient eu besoin de jouer aux gros durs, pourtant encore imberbes, en cherchant à faire rire l’assemblée avec leurs muscles. Ça n’a fait rire qu’eux-mêmes, ils auraient été déçus du contraire.
Et moi dans tout ça, j’avais pas grand chose à rétorquer pour te recentrer, mon ado éparpillée. J’ai pas trouvé la formule pour te faire rire, se moquer, ou grincer jusqu’à prendre du recul. J’ai rien montré mais j’étais bien désabusée de te voir revenir du collège avec pour seul souhait d’effacer du calendrier la journée du 08 mars!
Alors ok ma belle, même si tu n’as pas encore l’âge de la mesure, je le rappelle, ta colère est légitime, j’embarque avec toi. Sans rien dire aux cowboys de ton quartier, on va l’effacer cette journée. Mais en retour, je vous promets à toi et toute ta bande de cowgirls de continuer sans relâche, chaque jour de l’année, de faire du droit des femmes un quotidien et non un combat d’une cour d’école.
31/01/2023 - Anne Desplantez
Aujourd’hui, on est le 31. Et pas n’importe quel 31. Aujourd’hui on est le 31 janvier, et quand on a assez de ses deux mains pour compter ses bougies, on peut se payer le luxe de célébrer les étapes intermédiaires!
Tu es arrivée au monde un 31, mais pas celui de janvier, la tête en haut alors que nous t’espérions la tête en bas. Depuis, regarder le monde à l’envers te détend dans l’instant. Je ne t’ai jamais vue monter nos escaliers sans courir, et sans toi, je n’aurais jamais dansé sur Calogero.
Ensemble, on fait râler ton père et ta soeur quand on pousse la chansonnette, parait qu’on chante à côté des mélodies. Je les soupçonne d’être parfois jaloux de nos voix à l’unisson. Tu es la seule qui me crois quand je dis que j’aimerais avoir un éléphant, une tortue, une girafe pour mon anniversaire.
Tu donnerais père et mère pour ta soeur qui te manque tous les matins depuis la rentrée quand on part toutes les deux à l’école, main dans la main alors que elle, emprunte maintenant le chemin du collège. Tu as encore besoin de nous, de tous nos mots doux inventés ensemble, toujours les mêmes, murmurés soir après soir dans le creux de ton oreille avant d’éteindre la lumière. Tu nous l’as bien fait comprendre ces dernières semaines. Message reçu ma Dadie, on n’est pressé de rien pour grandir! Tu ne peux voir un film que si tu l’as déjà vu. La belle affaire! T’es mon petit sparadrap, et tu ne te prives pas de me le rappeler avec ton air de malice quand l’idée folle me prend de m’absenter quelques jours.
Pour tout cela, et pour tellement plus encore, on sortira les cotillons ce soir pour fêter ce joyeux semestre, cette moitié d’année qui vient de s’évaporer, et celle qu’il nous reste à parcourir jusqu’à la prochaine bougie!
Happy Day ma boucle d’or!
Aujourd’hui, on est le 31. Et pas n’importe quel 31. Aujourd’hui on est le 31 janvier, et quand on a assez de ses deux mains pour compter ses bougies, on peut se payer le luxe de célébrer les étapes intermédiaires!
Tu es arrivée au monde un 31, mais pas celui de janvier, la tête en haut alors que nous t’espérions la tête en bas. Depuis, regarder le monde à l’envers te détend dans l’instant. Je ne t’ai jamais vue monter nos escaliers sans courir, et sans toi, je n’aurais jamais dansé sur Calogero.
Ensemble, on fait râler ton père et ta soeur quand on pousse la chansonnette, parait qu’on chante à côté des mélodies. Je les soupçonne d’être parfois jaloux de nos voix à l’unisson. Tu es la seule qui me crois quand je dis que j’aimerais avoir un éléphant, une tortue, une girafe pour mon anniversaire.
Tu donnerais père et mère pour ta soeur qui te manque tous les matins depuis la rentrée quand on part toutes les deux à l’école, main dans la main alors que elle, emprunte maintenant le chemin du collège. Tu as encore besoin de nous, de tous nos mots doux inventés ensemble, toujours les mêmes, murmurés soir après soir dans le creux de ton oreille avant d’éteindre la lumière. Tu nous l’as bien fait comprendre ces dernières semaines. Message reçu ma Dadie, on n’est pressé de rien pour grandir! Tu ne peux voir un film que si tu l’as déjà vu. La belle affaire! T’es mon petit sparadrap, et tu ne te prives pas de me le rappeler avec ton air de malice quand l’idée folle me prend de m’absenter quelques jours.
Pour tout cela, et pour tellement plus encore, on sortira les cotillons ce soir pour fêter ce joyeux semestre, cette moitié d’année qui vient de s’évaporer, et celle qu’il nous reste à parcourir jusqu’à la prochaine bougie!
Happy Day ma boucle d’or!
27/01/2023 - Anne Desplantez
La décision est tombée hier. Aucun retour en arrière possible. Ce sera le foyer. Et non la famille d’accueil. Ça tombait bien, j’en voulais pas de cette famille. Pas plus que du foyer d’ailleurs. Je serrais mon sac tout contre moi, j’arrivais pas à réaliser, ça sifflait dans mes oreilles, ça tapait dans ma tête.
La décision est tombée hier. Aucun retour en arrière possible. Ce sera le foyer. Et non la famille d’accueil. Ça tombait bien, j’en voulais pas de cette famille. Pas plus que du foyer d’ailleurs. Je serrais mon sac tout contre moi, j’arrivais pas à réaliser, ça sifflait dans mes oreilles, ça tapait dans ma tête.
When you hold me,
Ils n’ont pas perdu de temps. On part, ils m’ont dit. Monte à l’arrière, tu seras plus tranquille. T’es sûre, tu veux pas repasser chez toi, une dernière fois? J’ai même pas répondu. De toute façon, j’avais rien de plus à récupérer là-bas. Tout ce qui comptait était là, empaqueté, entassé, froissé dans ce sac qui craque de partout. J’ai même pas quinze ans, ma vie se fracasse. Et on me demande si ça va aller. Si je vais rien regretter.
I’m alive,
Ils en savent quelque chose, eux, de ce que c’est de tout planter comme ça? De se retrouver seule, vraiment seule, infiniment seule? Assise sur la banquette arrière, je voyais bien dans le rétro, leurs yeux faire des allers-retours entre la route et moi. Sourires crispés. Nuques tendues. Bien sûr que non, ça va pas aller. J’ai monté le son dans mon casque jusqu’à saturation.
Eye to eye, so alive,
J’avais la trouille, mal au bide. Tu verras, tu seras pas toute seule là-bas. C’est la plus jeune qui m’avait dit ça, l’autre était occupée à conduire. Mais vous croyez vraiment que j’en veux, moi, de ce coin de chambre, de ces nouveaux amis? Vous êtes sérieux là? Vous avez pas compris que c’est toute ma vie que je quitte? J’ai ouvert la fenêtre, plongé ma tête vers dehors. Le paysage a pris de la vitesse, j’y voyais plus rien, ça piquait les yeux, j’ai oublié le rétro, les fausses promesses, et les regards qui me scrutaient. Mon corps s’est remis à pulser dans le vacarme des écouteurs. Et j’ai hurlé, portée par le vent, et Rihanna.
We’re beautiful like diamonds in the sky,
Diamonds in the Sky.
17/01/2023 - Anne Desplantez
Depuis deux jours, c’est l’agitation au foyer. Romain est parti battre la campagne. Le super-héros s’est envolé sans sa cape, baskets aux pieds. Il a envoyé valser cartable, autorité, foyer, santé. Il en avait plus rien à battre de tout ça, il allait leur prouver à tous qu’il était bien vivant, bien présent, et que quand il manquait à l’appel, il manquait tout court.
Romain est parti battre la campagne, et a laissé derrière lui sa vie sous contrainte partagée entre les journées au lycée, les soirées au foyer. Cela fait deux jours qu’il se lève quand il veut, se couche quand il peut, qu’il peut fumer, boire à volonté. Provoquer, insulter, blaguer de n’importe quoi, à n’importe qui.
Deux jours que sa vie fait fantasmer tous ses amis restés assis sur le banc dans la cour, à côté du baby qui attend, immobile, le retour du fugueur. Le coeur n’est plus au foot depuis que Romain ne répond plus.
Cette fois, Romain les a lâchés, et ça, c’est dur à encaisser. Pas moins que de voir tous les éducateurs autour continuer leur ballet, l’air ordinaire, sans un mot sur Romain, ni sur son absence.
Romain est parti battre la campagne. Le super-héros s’est envolé sans sa cape, mais a semé des petits cailloux sur son trajet. Aucun adulte ici n’ignore où il se planque. Mais tous se taisent. Et laissent la porte ouverte après l’heure du couvre-feu. Romain avait besoin de mettre sa liberté à l’épreuve. Il doit prendre, seul, la décision de rentrer.
Depuis deux jours, c’est l’agitation au foyer. Romain est parti battre la campagne. Le super-héros s’est envolé sans sa cape, baskets aux pieds. Il a envoyé valser cartable, autorité, foyer, santé. Il en avait plus rien à battre de tout ça, il allait leur prouver à tous qu’il était bien vivant, bien présent, et que quand il manquait à l’appel, il manquait tout court.
Romain est parti battre la campagne, et a laissé derrière lui sa vie sous contrainte partagée entre les journées au lycée, les soirées au foyer. Cela fait deux jours qu’il se lève quand il veut, se couche quand il peut, qu’il peut fumer, boire à volonté. Provoquer, insulter, blaguer de n’importe quoi, à n’importe qui.
Deux jours que sa vie fait fantasmer tous ses amis restés assis sur le banc dans la cour, à côté du baby qui attend, immobile, le retour du fugueur. Le coeur n’est plus au foot depuis que Romain ne répond plus.
Cette fois, Romain les a lâchés, et ça, c’est dur à encaisser. Pas moins que de voir tous les éducateurs autour continuer leur ballet, l’air ordinaire, sans un mot sur Romain, ni sur son absence.
Romain est parti battre la campagne. Le super-héros s’est envolé sans sa cape, mais a semé des petits cailloux sur son trajet. Aucun adulte ici n’ignore où il se planque. Mais tous se taisent. Et laissent la porte ouverte après l’heure du couvre-feu. Romain avait besoin de mettre sa liberté à l’épreuve. Il doit prendre, seul, la décision de rentrer.
11/01/2023 - Anne Desplantez
J’ai dans le coffre de ma voiture de grands tissus, que je trimballe un peu partout avec moi. Il y a ceux en coton, bleu, vert, beige, noir, coton ordinaire, sans surprise, sans reflet. Ils sont froissés à force d’attendre une occasion de sortir. Et dans le même sac, deux pans de velours, un rouge qui tire au grenat, et un gris qui tire au bleu. Eux sont différents. Ils brillent au soleil, ils sont doux au toucher, ils rassurent, ils enveloppent, ils donnent envie de les caresser, de s’enrouler dedans. Ce jour-là, les cotons sont restés dans le sac.
En préparant mon voyage, j’avais lu que Auch était partagée entre une ville haute et une ville basse, reliées par un escalier monumental qui ne compte pas moins de trois cent soixante quatorze marches. Monumental est un bon adjectif pour définir cette descente vertigineuse. C’est ce que je me suis dit en traversant la grande esplanade qui entoure la cathédrale de la ville haute, mes tissus sous le bras, alors que j’arrivais à mon point de rendez-vous. Une porte en bois. Un interphone. Une grande cour carrée, blanche. Avec un baby-foot et un banc pour lui donner un air très ordinaire. Et des bâtiments tout autour qui la protègent tant leurs murs paraissent solides, et invincibles.
Ce samedi d’avril, il faisait beau. Un détail qui avait son importance. Parce que, quand on rencontre pour la première fois des jeunes que la vie a cabossé et avec qui l’on cherche à tisser des liens de confiance, chaque détail compte.
Bonjour, je m’appelle Anne, je suis photographe, mais pas que. On va passer du temps ensemble, à faire des photos, mais pas que. Bonjour moi c’est Chloé, j’aime les photos, moi c’est Lucile, j’ai dix-sept ans, je n’ai jamais vu d’expo photo, moi c’est Alice on va faire des photos aujourd’hui?, moi c’est Ben j’aime pas les photos mais je suis là pour accompagner Romain, moi c’est Agathe, je ne pourrai pas être ici samedi, je vais voir mon père, moi c’est Eloïse, je suis dans le groupe des pré-ados.
Oui Alice, on va faire des photos, et avec de beaux tissus en plus, pour faire oublier le décor ordinaire de votre quotidien, des tissus en velours qui rappellent les tapis qu’on déroule pour les gens d’importance, et avec de vrais appareils photos qui vont nous rendre sérieux.
J’ai dans le coffre de ma voiture de grands tissus, que je trimballe un peu partout avec moi. Il y a ceux en coton, bleu, vert, beige, noir, coton ordinaire, sans surprise, sans reflet. Ils sont froissés à force d’attendre une occasion de sortir. Et dans le même sac, deux pans de velours, un rouge qui tire au grenat, et un gris qui tire au bleu. Eux sont différents. Ils brillent au soleil, ils sont doux au toucher, ils rassurent, ils enveloppent, ils donnent envie de les caresser, de s’enrouler dedans. Ce jour-là, les cotons sont restés dans le sac.
En préparant mon voyage, j’avais lu que Auch était partagée entre une ville haute et une ville basse, reliées par un escalier monumental qui ne compte pas moins de trois cent soixante quatorze marches. Monumental est un bon adjectif pour définir cette descente vertigineuse. C’est ce que je me suis dit en traversant la grande esplanade qui entoure la cathédrale de la ville haute, mes tissus sous le bras, alors que j’arrivais à mon point de rendez-vous. Une porte en bois. Un interphone. Une grande cour carrée, blanche. Avec un baby-foot et un banc pour lui donner un air très ordinaire. Et des bâtiments tout autour qui la protègent tant leurs murs paraissent solides, et invincibles.
Ce samedi d’avril, il faisait beau. Un détail qui avait son importance. Parce que, quand on rencontre pour la première fois des jeunes que la vie a cabossé et avec qui l’on cherche à tisser des liens de confiance, chaque détail compte.
Bonjour, je m’appelle Anne, je suis photographe, mais pas que. On va passer du temps ensemble, à faire des photos, mais pas que. Bonjour moi c’est Chloé, j’aime les photos, moi c’est Lucile, j’ai dix-sept ans, je n’ai jamais vu d’expo photo, moi c’est Alice on va faire des photos aujourd’hui?, moi c’est Ben j’aime pas les photos mais je suis là pour accompagner Romain, moi c’est Agathe, je ne pourrai pas être ici samedi, je vais voir mon père, moi c’est Eloïse, je suis dans le groupe des pré-ados.
Oui Alice, on va faire des photos, et avec de beaux tissus en plus, pour faire oublier le décor ordinaire de votre quotidien, des tissus en velours qui rappellent les tapis qu’on déroule pour les gens d’importance, et avec de vrais appareils photos qui vont nous rendre sérieux.
01/01/2023 - Anne Desplantez
Justine a cuisiné ses premiers choux, vanille, chantilly, ou encore praliné. À 1h du matin, nous n’avions plus vraiment faim, le choix du gout est devenu cornélien.
Clarisse a revêti sa jupe rouge, ses collants bordeaux et son chemisier noir à liserés dorés, assortis à ses boucles d’oreilles qu’elle mettait pour la première fois. Elle a toujours aimé être coquette, même avec trois bouts de tissus improbables.
Sébastien s’est rasé de près, pour mieux sentir sur sa peau la douceur de l’air totalement décalée par rapport à la date de l’évènement qui se préparait. On a besoin, parfois, d’éprouver par le corps pour réaliser que oui, quelque chose est en train de changer, à jamais.
On a passé une bonne partie de la soirée à chercher une solution ensemble pour ajuster à la taille de nos bustes la hauteur de la table autour de laquelle nous allions partager notre dernier repas de l’année. On a ri de cela, et de tout le reste.
Il y avait du pois chiche dans les houmous, mais pas que. Valentin, Alexis et Elisa ont appris à jouer au Time Bomb. Valentin a perdu la première partie, le jeu n’était pas égal mais il était heureux, ses yeux rieurs vibraient. On a oublié de regarder nos montres, nos téléphones, nos pendules, on s’est embrassé, sans gui, mais avec de l’entrain à minuit passé. Le décompte des heures n’était pas essentiel à la soirée.
Nous étions plusieurs dans ce salon à entrer dans une année particulière, une année en 3, qui annonce un compte rond, un de plus. Nous connaissons aujourd’hui mieux qu’hier la valeur de ces décennies passées ensemble, à suivre nos chemins sans jamais vraiment se quitter, la magie de l’amitié, celle de vieillir ensemble. Nous avons parlé littérature, cuisine, cinéma, éducation, et de la hauteur de la table aussi, bien sûr. Pour une fois, la politique est restée en retrait.
Nous nous sommes quittés trop tard, trop tôt, c’est selon. Il faisait trop chaud, pas assez froid. On avait sommeil, mais on aurait pu tenir encore un peu. Les enfants, eux, réclamaient depuis longtemps leurs lits.
On aurait pu se souhaiter les merveilles les plus improbables, les rêves les plus fous, attraper au vol quelques résolutions intenables, encore une fois. Mais non, on était bien là, alors on s’est laissé glisser. Jusqu’à quitter définitivement 2022, et se réveiller ce matin, en 2023.
Justine a cuisiné ses premiers choux, vanille, chantilly, ou encore praliné. À 1h du matin, nous n’avions plus vraiment faim, le choix du gout est devenu cornélien.
Clarisse a revêti sa jupe rouge, ses collants bordeaux et son chemisier noir à liserés dorés, assortis à ses boucles d’oreilles qu’elle mettait pour la première fois. Elle a toujours aimé être coquette, même avec trois bouts de tissus improbables.
Sébastien s’est rasé de près, pour mieux sentir sur sa peau la douceur de l’air totalement décalée par rapport à la date de l’évènement qui se préparait. On a besoin, parfois, d’éprouver par le corps pour réaliser que oui, quelque chose est en train de changer, à jamais.
On a passé une bonne partie de la soirée à chercher une solution ensemble pour ajuster à la taille de nos bustes la hauteur de la table autour de laquelle nous allions partager notre dernier repas de l’année. On a ri de cela, et de tout le reste.
Il y avait du pois chiche dans les houmous, mais pas que. Valentin, Alexis et Elisa ont appris à jouer au Time Bomb. Valentin a perdu la première partie, le jeu n’était pas égal mais il était heureux, ses yeux rieurs vibraient. On a oublié de regarder nos montres, nos téléphones, nos pendules, on s’est embrassé, sans gui, mais avec de l’entrain à minuit passé. Le décompte des heures n’était pas essentiel à la soirée.
Nous étions plusieurs dans ce salon à entrer dans une année particulière, une année en 3, qui annonce un compte rond, un de plus. Nous connaissons aujourd’hui mieux qu’hier la valeur de ces décennies passées ensemble, à suivre nos chemins sans jamais vraiment se quitter, la magie de l’amitié, celle de vieillir ensemble. Nous avons parlé littérature, cuisine, cinéma, éducation, et de la hauteur de la table aussi, bien sûr. Pour une fois, la politique est restée en retrait.
Nous nous sommes quittés trop tard, trop tôt, c’est selon. Il faisait trop chaud, pas assez froid. On avait sommeil, mais on aurait pu tenir encore un peu. Les enfants, eux, réclamaient depuis longtemps leurs lits.
On aurait pu se souhaiter les merveilles les plus improbables, les rêves les plus fous, attraper au vol quelques résolutions intenables, encore une fois. Mais non, on était bien là, alors on s’est laissé glisser. Jusqu’à quitter définitivement 2022, et se réveiller ce matin, en 2023.