Les mains de madame Dedieu
dansent dans les airs.


 

TU CONNAIS SES SILENCES
2019-2020
Résidence de territoire
Invitée par l‘ADECC et la communauté des communes du Couserans


Photographie / Textes / Création sonore






Les mains de Mme Dedieu dansent dans les airs quand elle se remémore ses partitions de piano. Elles sont belles. Elle ne veut pas de photos d’elle, elle ne voit que la mort dans son corps. Ses yeux se remplissent de larmes quand elle parle. C’est dur parfois de continuer à être vivant, vraiment, quand plus rien ne nous rattache à rien.

Les longueurs de la route m’obligent à me poser entre deux rencontres, à définir la nécessité ou pas de revenir. Les endroits où je reviendrai deux fois ou plus sont sans doute ceux qui font le plus sens pour moi. Est-ce comme ça que l’on comprend, un jour, d’où l’on est vraiment ?

Anne-Marie a demandé à ses frères de venir. Café, viennoiseries, jus de fruits se sont invités dans la grange. Entourés de tous les tableaux de leur père, les trois frères et sœur se replongent dans leurs souvenirs d’enfance, se baladent de tableau en tableau, les fou- rires s’invitent, les larmes aussi.


Drôle de fratrie, idée un peu folle que celle d’ouvrir ensemble un musée pour leur père. Et lui permettre ainsi de ne pas le laisser partir sans laisser une trace, lui qui le redoutait tant.

Ce matin-là, cet homme est avec ses enfants. Il les observe au travers de chacun de ses tableaux, les invite aux souvenirs. Pour qu’ils restent ensemble, avec lui, même après lui.

Je croise des histoires de vie. Toutes singulières. Parce que chacun met un peu de lui dans ce qu’il construit. Et moi, je virevolte autour. Il faut que je parle des lucioles dansantes que j’ai croisées au bal de Mireille. Ces petites lucioles qui ont dansé jusqu’au matin. Ils étaient libres dans leurs corps. J’étais là, je les regardais, et je pensais à Sébastien, à Justine, à Clarisse. Sans eux, je me perds, je m’essouffle. Ils me manquent.


Extrait du texte - Tu connais ses silences
Editions Photopaper



Vues d’exposition




À propos - Fabien Ribery


Bénéficiant, après Arno Brignon, d’une résidence photographique dans le Couserans, Anne Desplantez est partie à la rencontre d’habitants vivant dans une nature à la fois superbe et sans concession. Le travail qui en découle est profondément intime tout en étant pudique, silencieux et de grande écoute envers ce qui est, envers ce qui vient. Ici les enfants sont des chevaux au galop, et les vieilles personnes des montagnes solides érodées par le temps inclément. Cherchant à « comprendre ce qui nous tient ensemble », Anne Desplantez élabore, en images et sons, une œuvre de grande délicatesse.

Je suis arrivée sur ce territoire avec l’idée d’aller rencontrer les gens chez eux pour passer du temps avec eux, en famille. J’avais mis en place des ateliers partagés avec la population, des soirées de médiation dans diverses structures sur le territoire [...]. Toutes ces actions étaient mon point d’entrée dans les familles, un prétexte à aller à la rencontre de l’autre, à partager avec les habitants une façon de voir la photographie, et de leur donner envie d’aller plus loin dans le projet. De là, je retournais chez les personnes qui le souhaitaient. On se rencontrait chez eux, avec leur cercle intime. On apprenait à se connaître, mais pas trop non plus, juste le temps de partager une histoire, une interrogation, un moment de silence aussi parfois. Les photographies venaient alors naturellement. Assez rapidement, je sentais qu’il était temps de poser des images sur l’énergie créée par notre rencontre. Mes travaux en photographie se nourrissent beaucoup de l’intimité, la mienne, mais aussi celle des autres. Comment, à partir d’histoires toutes singulières, on bascule sur des questions plus universelles...


N’êtes-vous pas particulièrement sensible, telle une chorégraphe, à la façon dont les corps occupent l’espace ?

Elle est amusante cette question. Parce que oui, depuis toujours, j’observe les corps qui parlent inconsciemment, ceux qui peuvent nous trahir, qui comprennent plus vite, qui ressentent plus intensément. Je crois même que cela a été mon premier travail en photographie. Avec mon frère Julien Desplantez, danseur chorégraphe, nous avions travaillé autour de la notion d’enfermement dans un projet intitulé Le Mur. On a longuement travaillé ensemble pour trouver la frontière subtile qui amènerait les danseurs à parler avec leurs corps sans danser, et comment attraper en photographie ces instants fugaces.


Suite de l’entretien ici:

https://lintervalle.blog/2019/04/02/couserans-passer-lhiver-par-anne-desplantez-